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JEANNO SCENO

la trilogie du revoir, botho strauss

20 Juin 2012, 14:00pm

Publié par jeanno

création scénographique

Diplôme de fin d'étude DNSEP Esad Strasbourg, juin 2012

la trilogie du revoir, botho strauss
la trilogie du revoir, botho strauss

Fascicule distribué au public lors de la représentation.

 

Pas d’objet mort pas d’être vivant 

Une exposition mise en scène, et un spectacle inspiré de: 
«La trilogie du revoir» de Botho Strauss 
Une oeuvre collective 
Mise en Scène et scénographié par Jeanne Baillot

 Mercredi 6 juin, 16h50 
Salle des pas perdusÉcole des arts décoratifs de Stasbourg 


// Résumé interprété de la pièce 

Dans une ville de province, les amis des arts, petits notables 

venus de tous les horizons, inaugurent leur exposition. Au fil des 

scènes, comme projetées sur un écran dans une succession 
brisée, nous renvoyant notre propre image, ces personnages 

écorchés révèlent peu à peu leurs attirances, leurs conflits, leurs 

déchirures. C’est dans leurs failles, dans leurs silences ou dans 
l’excès de leur cri que se trahit leur solitude. Dans un monde où se 

reflètent indéfiniment scène et salle, tableaux et réalité, peinture, 

cinéma et photographie, c’est à travers l’assemblage de ce que 
nous appelons si bien les «clichés» que perce la vie profonde 
des personnages, recouverte par un langage qui n’est pas le leur, 
dominée par une obscure puissance (sociale ou métaphysique?) 
tapie à l’arrière-plan. Voir et revoir les tableaux, les personnages, 
le déjà-vu, le déjà-dit, la séparation et le retour font apparaître 
l’interstice où se loge notre angoisse, notre vérité, moment central 

de cette «trilogie». Dans cet entrelacs subtil «d’affinité électives» 

où les choses se défont et se refont, c’est la rupture qui manifeste, 
face à la stabilité photographique des tableaux «réalistes», 
l’inconsistance, déjà proclamée par Woyzeck, du sol qui glisse 
sous nos pas : «Au commencement il y a toujours l’adieu… et puis 
il y a un revoir… Entre le va et vient, la charnière où nous nous 
rencontrons…» 


// À propos du spectacle 

Inspirée de «La trilogie du revoir» de Botho Strauss, la pièce est un 
parcours au sein d’une exposition de tableaux presque «vivants», 
selon les trois temps de cette trilogie-tryptique : 

-«Petit cercle» la rencontre, le groupe de visiteurs, la mise en 
jambe et le rituel d’entrance : une ablution, un recueillement, une 
coupure individualisante de mise en écoute et en condition. 
-«Personne de précis» : orchestration fantômatique, des ombres 
dans l’exercices de leurs fonctions en milieu artistique sous-terrain. 
-«Bonnes relations»: après quelques verres on oublie 
tout, on recommence. 
// Ici-même scénographe 

Mes racines sont celles du théâtre, le milieu dans lequel j’évolue 
celui des arts plastiques. 
C’est précisément cet endroit d’hybridité et de porosité des 
contextes qui alimente mon travail et ses formes. Inspirée 
par l’actualité et par des questions sur le rapport du corps 
à l’espace public, sur l’anonymat, j’inverse la construction 
d’images d’hommes en hommes-images. Les corps peuvent 
devenir objets ou sculptures, les habits costumes, les faciès sont 
comme des masques. Scène ou exposition sont confondues en 
représentations ; pas d’objet mort pas d’être vivant, uniquement 
des fantômes. 


// Quelques unes des références plastiques citées dans 
le texte de la pièce : 


Alex Colville 


Antonio Calderara 


Domenico Gnoli 


David Hockney 


Gerhard Richter 


Edward hopper 


Lucian Freud 


Marcel Duchamp et Meret Oppenheim 


Jan Peter Tripp 


Richard Oelze 


Michelangelo Pistoletto 


// Merci à tous les participants, 

Mounia Raoui 
Jonathan Daviau 
François Malingrey 
Jérémie Bellot 
Anne Sophie 
Marco 
Hugo 
Mathieu Lambert 
Antoine Vandendriessche 
Roger Dale 
Elsa Noyons 
Izia Mary 
Cléo Huet 
Jacky 
Guillaume Barth 
Pierre Yves Morel 
Juliette Autin 
Clémentine Cluzeaud 
Irène Tchernostan 
Damien Dubras 
Clémence Prieur 
Judith Deschamps 
Claire Wallois 
Colombe 
Marius Pons de Vincent 
Mathias Wouters 
Claire Serre 
Camile Bres 
Clio Marotel 
Kaya tasman 
Claire Schmitt 


Paul Guilbert 
Malo Mangin 
Pierre 
Yann 
Tim Mertz 
Samuel Rivers Moore 
Sébastien Shnabel 
Nasser 
Pauline Barzilaï 
Zoé Denoux 
Jessica Loreti 
Valentine Siboni 
Oriane Amghar 
Joelle Smadja 
Colette Holl 
L’atelier Scéno 
... 

 

la trilogie du revoir, botho strauss
la trilogie du revoir, botho strauss
la trilogie du revoir, botho strauss
la trilogie du revoir, botho strauss

1

PAS D’OBJET MORT PAS D’ÊTRE VIVANT

23 

PAS D’OBJET MORT PAS D’ÊTRE VIVANT

JEANNE BAILLOT4 5 

AVANT-PROPOS

La forme que je donne à cet exercice d’écriture reflète ma difficulté à dire ma position d’artiste face à la complexité de l’actualité politique et culturelle. Si j’ai choisi de privilégier les intuitions à la clarté, cet assemblage de textes de différentes natures est à considérer dans son ensemble. Il est constitué de chroniques, de notes de travail, de digressions poétiques, d’images et de notes de bas de pages. Ces allers-retours de registres et de thèmes me permettent de rendre visibles mes questionnements et mon parcours, en étant le moins possible contrainte par la logique inhérente à l’objet « mémoire ».6 

JE VOUDRAIS PARLER DE : 

( liste non exhaustive, dans le désordre. En italique ce qui n’apparaîtra pas )

// Peinture vis à vis de ma place de scénographe

// Scénographie + « Sceno one shot » (comme la perf pour l’acteur), « work in progress », participatif, évolutif, jamais pareil ou en une fois…

// Métiers : leur symbolique et hiérarchie dans Botho Strauss et dans le système théâtre

// Start expérience, et hôtesse TNS

// Figurants (rôles muets, seconds rôles, statue ou image de foule, cf : Inferno)

// Didascalies et didascale Armand Gatti et Monique Martinez Thomas + Philippe Wellmitz (suite texte sur personnages), le cartel ou titre, ce qui se dit et ce qui se joue

// Philipe Quesne, Big Bang

// Inspiration bande dessinée et dessin de presse

// Gildas Milin Machine sans cible, l’homme de février

// Castelucci, Inferno et Sul concetto di volto nel filgio di dio

// Robyn Orlin, Louvre

// Langage/Silence

// Contexte d’école 

// Projets de l’an dernier (comme chroniques) mémoire de mémoire 

// Malévitch Supprématisme/ beaudrillard Simulacre et simulation

// Botho Strauss + pourquoi j’ai choisi ce texte + explication des tableaux

// Pose ou pause, arrêt sur image

// Théâtre du peuple, spectacle : « histoires courtes mais vraies » 

(docu-fiction)

// Expérience stage au théâtre de l’opprimé, théâtre image, Augusto Boal

// Architecture vis à vis de ma place de scéno : Under Wasser, Kinshasa structure chapiteau, utopistes /futuristes… échelles humaines

// Collectif et manifeste Arcade 

// Projet scène itinérante (mobilité) mes envies leurs formes et pour quel résultat… précédé de parcours et cheminement jusqu’ici

// Carnaval, un entretien avec Daniel Shlier ?7 

// Le masque : objet du lien entre expo et théâtre, anonymat, uniforme et costume

// Magritte et Chirico et le rapport de Botho Strauss à la peinture

// Lettre a Botho Strauss

// « Fin de partie » Krystian Lupa, la peinture et cadrage fluo

// Scénographie ou spectacle silence, scénographie d’auteur

// Mes personnages (chronique ceeac)

// Chronique nuit des musées et chaufferie

// Spectacle vivant

et autres digressions8 

In Situ in Transit, Teatro plàstico9 

Mon intérêt pour les scénographes/metteurs en scène ou hybridité du métier et des formes scéniques.

Une grande partie de mes réflexions se réfèrent directement à mon projet inspiré du texte de Botho Strauss « La trilogie du revoir ».

Ma position et mon point de départ seraient plutôt ceux du passage du théâtre à la présentation d’objets oeuvres, et moins l’inverse.

Il s’agit du langage silencieux dans le spectacle vivant contemporain, et d’interrogations sur la porosité entre ces deux milieux très codifiés que sont les expositions d’oeuvres d’art et le théâtre « occidental ».

Pourquoi et surtout comment cette° forme de théâtre muet, croise le chemin des arts plastiques et graphiques, pour s’éloigner d’une théâtralité classique et verbale ?

°Peut-on dire théâtre plastique ?

Le brouillage des codes change la relation au public et à sa mise en écoute : capture d’attention. Inversion ou mélange de ces deux chartes de codes et de protocoles : 

- spectateur // visiteur 

- assise // cheminement 

- Rdv ponctuel // au détour d’une flânerie 

- texte dit // silence 

- les conteneurs : boîtes noires et théâtres // boîtes blanches, galeries, musées 

- les acteurs : comédiens, metteurs en scène, scénographes, costumiers, accessoiristes, dramaturges, ouvreurs, régisseurs constructeurs, etc. // artistes plasticiens, commissaires, muséographes, gardiens, guides, conservateurs etc.

Ne faut-il pas que deux milieux ou deux entités se rencontrent pour que quelque chose se produise de nouveau? Est-ce source « d’inconfort » pour le public et donc d’éveil ?10 

Dans l’idée d’une exposition vivante est-il question de représentation ou de présentation, performance, installation scénographie « one shot » ? Dès la première année d’étude en scénographie aux Arts Déco, Pierre André Weiss nous disait : « le principe même de la scénographie, c’est d’inventer un espace pour « des » représentations, pour la répétition. »

La porosité des sections de l’école et le manque de moyens en tout genre nous on amenés à la fabrication d’évènements « one shot » : « On n’a pas de moyens mais on est 40, avec juste une semaine, montage, démontage, inventions et réalisations compris. »

Souvent le temps du montage ou du work-shop nous étions notre propre public, et les présentations ou représentations uniques avaient valeur d’éxpérimentations.

//

J’envisage qu’une facette de la scénographie puisse être associée à une forme de commissariat, dans le sens où il s’agit d’un assemblage d’éléments ou de pièces : la lumière, le son, les accessoires, les costumes, le décor, peuvent être des oeuvres à part entière. Elles pourraient alors bénéficier du traitement et de la mise en regard qui s’appliquent aux oeuvres présentées dans le cadre (milieu) des arts plastiques.

Dans le travail de Valère Novarina, j’ai découvert que la place de ses peintures sur la scène avaient leur notoriété légitime d’oeuvre d’art et étaient portées à la vue par le spectacle vivant comme une autre forme d’exposition. Cet artiste aux multiples casquettes, rend les cloisons de ses propres pratiques perméables entre elles, ces innovations font alors partie d’un processus de recherche autour « des » langages.

Dans « l’homme de février » ou dans « machine sans cible », Gildas Millin effectue cette mixité de codes et de protocoles avec, cette fois, des notions scientifiques alliées à des questions théâtrales, de telle manière que chaque particule, chaque élément constituant de l’ensemble du spectacle, ait une valeur « quantique ». Les phénomènes et épiphénomènes sont tous fondamentaux et l’échelle de chaque chose varie sur la courbe de l’infini.11 

Cette prise en compte des difficultés conceptuelles dans le travail de plateau, pourrait se référer à un consortium scientifique, notamment aux recherches actuelles sur les particules élémentaires. La notion de « non-localité » issue de la relativité restreinte, devient un principe d’espace-temps métaphorique mais pas complètement abstrait. L’objet final est hybride, multi-sémantique, la scène prend une ampleur d’univers et les comédiens de particules de matière.°

Question de l’art « hors format » : du support et du médium. Traduire ou réduire au format, traces de la pensée. Libre composition des images, de ses cadres de leur présentation au public. Porosité des secteurs d’activité.

Les codes et les vieilles recettes, places assignées, structures homologuées ou institutionnalisées, précadrées, réduisent parfois la question de l’adresse et de la forme.

Ne devrait-on pas dans ce cas là, repenser les conteneurs même qui accueillent ces formes? Faire dialoguer les contextes et en inventer de nouveaux, qui correspondent à la démarche, au propos. Lorsque l’on cherche un dialogue avec des formes du réel, l’implantation géographique et le cadre de l’oeuvre sont à considérer comme participantes du sens.

Bob Wilson, CFPI : interventions en milieu social, interventionnistes, situationnistes, arts de rue, théâtre de rue…

« Un théâtre est-il le lieu naturel pour ce qui est exceptionnel, poétique et provocateur ? Oui, c’est l’endroit parfait d’après les politiciens conservateurs et l’extrême droite. Voilà comment la poésie et le feu sont sous contrôle, et c’est à peine s’ils gardent un contact avec les passants. On conçoit des oeuvres radicales dans des conteneurs qui les protègent et les amoindrissent. Dans des musées et des théâtres. Dans des galeries d’art et des salles de concert qui transforment une idée subversive en un passe-temps du samedi soir. Dans ces conteneurs, rien n’est extraordinaire, tout est à sa place, réduit au calme et au silence ». Rodrigo Garcia Marquèz, Et balancez mess eendres sur Mickey.

Lui-même pratique ces conteneurs, conçoit des spectacles en salle et s’adresse au public qui les fréquente.

°Architectonique : Harmonisation, coordination des sciences et de tous les savoirs ou des diverses parties d’un système.12 

Nécessité de trouver la forme adéquate à la communication d’une idée en n’excluant rien de la palette des champs d’action. Pour moi artiste est une posture éphémère en perpétuel recommencement. Il n’existe que par sa nécessitée à communiquer. Je ne le ressens ni comme une nature ni vraiment comme un métier.

Par ailleurs, si on ne pouvait pas en vivre, il faudrait pouvoir continuer, ou, continuer est-ce faire en sorte de pouvoir en vivre ?

Ma démarche au prix du sacrifice de n’être jamais spécialiste en rien et de multiplier de maigres connaissances dans divers domaine, me donne la possibilité de choisir, d’orienter mon travail vers une forme de communication adaptée, souvent hybride et déracinée, où ne restent que les intentions esquissées, ne restent que le geste artistique et ses « bricolages » scénographiques.

Me permettant de les associer, de prendre partout ce qui est l’élément juste du message de tisser oeuvres et ces artistes ensembles, de fabriquer les rencontres et assemblages et frictions/scénographe couteau suisse, multifonction, relai.

La symbolique des petites choses découpées par le vide, et c’est ce vide, autant que les symboles, qu’il nous faut définir en scénographie.

Boîtes blanches et boîtes noires servent ces découpes comme un cadre appelant à la lumière ou à son absence. Ces « non-couleurs » sont-elles un faux espoir de neutralité ? 

Castelucci utilise la boîte noire pour ses mise en scènes « de profundis » et Philippe Quesnes « un grand espace blanc, version basique du vide » selon Eric Vautrin.

De même, Malévitch en arrive aux questions sur la représentation et le théâtre par des jeux sur l’architecture et ses images, par des réflexions sur la lumière et ce, toujours dans un système d’oppositions noir-blanc.

Exposition (théâtre): technique littéraire consistant à énoncer, au début d’une oeuvre littéraire, le sujet et le contexte sous lesquels l’oeuvre sera présentée.

Scène d’exposition: première scène du premier acte d’une pièce.13 14 

Big-Bang, Maillon Wacken, janvier 2011.15 

Big bang ou : le vert est interdit au théâtre

Sur un plateau blanc qui n’a pas d’origine un groupe de chercheur se gratte la tête à la recherche de… 

Atmosphère hasardeuse, serait-ce la scène d’une expérience entre un groupe de travail, en travail, s’agit-il du théâtre ?

Pas de mots, mais des images, des mouvements, et des sons qui s’agglomèrent en un bricolage narratif, dont on suit la lente épopée. On comprend un thème, en découlent des questions, nos questions, à nous de nous en emparer, de nous en servir, de les faire grandir, les laisser voguer, en même temps que le décor grandit, évolue, nous suivons quelques une des étapes de « l’évolution », de l’âge de pierre à la conquête de l’espace en passant par le camping caravaning ; sans transition.

La matière a un son d’intérieur, atmosphère lumineuse amniotique ou post apocalyptique, jardin d’Eden inondé, dans la brume, recouvert d’une multitude de canots en plastique Challenger III. 16 

Il y a la mémoire d’une sensation humaine ancestrale ou prénatale, d’un corps dans l’espace, d’apesanteur, et la bêtise du corps au 21e siècle : l’Homme moderne, grand, mou, courbé par les heures d’ordinateur. L’homme entre dans l’espace, dans la matière, qui est aussi métaphysique. Les choses n’ont plus de nom, plus de poids, et nous les reçevons tour à tour, sans cadre, sans demeure, sans définition. Nous devons nous-même retisser le pourquoi nous sommes entrés et comment nous allons sortir.Le statut de la représentation prend un tour hypnotique, le sentiment d’expérience implique le spectateur inconsciemment et captive son attention par le potentiel imprévisible et en construction de la situation. L’anachronisme, mélange des genres et des époques, nous renvoie sans cesse au présent, aux corps en travail au message qui se tisse avec nous et par nous. Il n’y a pas de guidage ou d’instructions de lecture, pas de manipulation ni de propagande, ou coup d’éclat pour convaincre et ce grâce au silence qui laisse la place à la pensée. Le spectateur garde la liberté d’interpréter les signes et les sens, dont ceux proposés par le non conformisme de cette relation au « théâtre ». Inclure le spectateur dans un processus de recherche et de réflexion - sur le sens de la vie, sur comment nous en sommes arrivés là et où nous allons - c’est considérer chaque individu et donner du sens à la relation public-oeuvre à responsabilité partagée ; et y répondre par la beauté de l’absurdité de nos êtres et de leurs mouvements, c’est faire tomber les codes et réflexes d’une réflexion prémâchée, d’une appréhension critique entrée avec nous par la porte du lieu. 

Le protocole expérimental permet d’ouvrir un espace neuf ou déraciné, dé-normé, pour la réflexion.

Les tableaux posent des questions ou des suppositions qui ne se lisent pas forcément verbalement ; sur lesquels les mots n’ont pas toujours d’emprise.17 

« Comme souvent, le dispositif jouera un rôle dramaturgique important ».

« Le canot, c’est à la fois un objet de vacances et de naufrage. En plus, il porte le nom de la navette qui a pété. Quand les objets ont plusieurs sens et que les signes convergent comme cela, je valide. » Philippe Quesnes

En dehors de son travail de metteur en scène et j’entends par là, de la façon dont il dirige ses acteurs au sein du vivarium studio et lors de ses créations, ce qui m’intéresse chez Philippe Quesnes c’est la façon dont l’image investit tous les endroits de la scène : le texte, l’espace et les corps. L’expérience et la tentative « plastique » en direct, mise en abyme, sont un happening.

« rien n’était fixé à moins de trois semaines de la première »

« La fable vient en dernier, on travaille sur des fragments, on réajuste sans cesse la partition, comme des musiciens de jazz » P.Quesnes

Elles requièrent un autre type d’attention et déplacent le regard du spectateur, ses cadres et ses critères critiques. On écoute parler la matière qui s’aventure dans une didascalie infinie. Les matériaux les outils et les signes deviennent comme une toile à plusieurs mains. Ce qui importe est autant l’objet que sa fabrication. C’est d’ailleurs lors de cette fabrication que nous lisons et comprenons les images.

Le spectacle démarre par la dernière image du précédent : la mélancolie des dragons ; les traces de la recherche ainsi présente, la rendent continue. 

« La mélancolie des dragons tenait du manifeste poétique : comment raconter une histoire en tournant le dos à l’action et à l’événement, avec pour armes des gestes dérisoires et des ambitions minuscules. » René Solis

« Ce sont d’abord des bricoleurs du corps, des sons, des objets, avec un coté passionné et amateur. Je n’ai pas envie de passer au professionnalisme rigide, il faut conserver ce côté artisanal » P.Q18 

La Mélancolie des Dragons, festival Dedans Dehors, Théâtre Brétigny, juin 2009.

Ce qui me plaît aussi dans cette démarche est que lui-même interroge le sens de ses images, qu’il laisse filer comme si ses rêves ou intuitions pouvaient lui raconter comment et pourquoi elles s’étaient construites ainsi. Que « l’accident » des assemblages et leurs connivences intuitives ne sont pas là par hasard.

«Super tranquillement, vous allez prendre une branche et la poser par là… Après, vous le ferez en peau de bêtes.» 

«Quand on y pense, c’est idiot qu’une onomatopée fixe l’hypothèse des origines. Ca nous va bien. On démarre comme si nous étions les spectateurs d’un projet qui s’appellerait « Big Bang »» P.Q19 

Ce système d’expérience n’a pas grand chose de scientifique, si ce n’est peut être les talkie walkie évoquant l’exploration d’une zone périlleuse. Cela renvoi plutôt à l’idée de la pensée partagée comme on partage un repas, ou à l’idée que l’espace est habité. Paradoxalement ces digressions sur la vie, mêlent la valeur de l’existence et lui confronte son versant immobile, son côté végétal ou inerte. 

«marquant les ruptures, les inventions, les décompositions les disparitions, comme les mutations les plus étranges. Sans doute coexisteront les hommes et les animaux, le silence et les langages, le rien et le tout : le flottement du vivant.» E.Vautrin

Ces tableaux amènent l’idée de « vanité du temps humains » (Eric Vautrin). Une fois un tableau essayé il en appelle un autre, s’en suit un « Marabout-Bout de ficelle… , une chute de dominos.

Cette idée d’un montage sur le principe de la bande dessinée me travaille aussi depuis longtemps et me renvoie à mes premiers voyages en livre : Little Nemo.

Je pense que le travail de Philippe Quesnes, que j’ai découvert récemment, est celui dont je me sens le plus proche aujourd’hui en ce qui concerne le théâtre. Tant dans son processus de création que dans ses affiliations et références.

« J’ai découvert, ces dernières années, la richesse de nouveaux auteurs de bande dessinée, qui inventent des modes de narration, des jeux avec les formats, les cadres. (…) De toutes ces influences, je me dis que je garderai des éléments pour structurer ou donner du sens au spectacle. (…) une forme de surtitrage en bulles ou en enluminures, même sans dialogues, dans le silence, comme on peut trouver dans certaines B.D ; des tableaux vivants mis en musique, à la façon de certains opéras. Moins de dialogues et davantage de commentaires .» 

«C’est l’intérêt premier de la scène : faire des expériences, considérer les répétitions comme un laboratoire, avec un petit groupe de recherche. Pour cette prochaine pièce, j’ai envie de passer des commandes à des dessinateurs 20 

ou à des musiciens, pour faire exister dans le spectacle, sur scène, des séquences d’un autre registre. Cette polysémie est essentielle, de même que le mystère : il me faut rester flou le plus longtemps possible.» P.Quesnes 

De plus, ses bricolages décomplexés, « son univers sans pression » me rassurent et me redonnent confiance dans l’efficacité des petites choses ou des choses simples.

Selon Eric Vautrin, cette organisation du travail et de la recherche, cette nouvelle forme théâtrale, témoigne d’une «ironie envers le monde de l’art, envers soi-même, à travers ce parc d’attraction en kit un peu minable, tellement à l’image de la culture. (…), une ironie gentille, pour un monde culturel fatigué.» 

Philippe Quesnes répondrait, selon cette idée, à un ensemble artistique et culturel actuel qui constituerait un système arrivant à l’épuisement. Il esquisse alors ce protocole comme une voie pour en sortir. Ouvre une nouvelle palette de champs d’action/ communication.21 22 

Inferno Roméo Castelucci 

Maillon Janvier 2009

Des chiens qui aboient et mordent un homme, le piano qui prend feu, le mur qui tombe, le cube aux vitres miroirs dans lequel des enfants sont enfermés, Andy Warhol, le cercueil qui mousse, les figurants qui sautent dans le vide, le canon qui projette des hommes, le christ qui escalade une façade et se place dans un vitrail circulaire devenant l’étude de proportion de Léonard de Vinci …

Les flashs qui me restent de ce spectacle sont des compositions assez sobres, découpées sur le fond noir de la boite de scène, toutes d’une grande violence comme si ce diaporama cherchait un panel des phobies de chacun dans la salle …

Défilé des peurs, des errances sombres, d’un esprit ensommeillé, parfois surpris du fond d’un cauchemar par des aboiements, un flash de lumière blanc, le bruit d’un crâne brisé sous le poids d’un gigantesque mur. Râle et foudres des ténèbres, tourbillon des monstres de l’esprit, de nos esprits modernes et angoissés, fantômes collectifs du 21ème siècle, accumulés à ceux du passé, de la religion aux mythologies. Utilisation des icônes et des « clichés », des sosies, Castelucci : chercheur en images. 

Hypothèse selon laquelle Castelucci annone son cauchemar au réveil, encore traumatisé, et revivant en les disant, les scènes de terreur arrachées à la Divine Comédie de Dante. Racontant au milieu de cet espace vide et noir, tout aussi terrifiant, qui est celui de la pensée autour du détail imaginé : le néant. On est dans la boîte noire du théâtre. Les tableaux s’enchaînent comme le récit de souvenirs d’un rêve: « Là il y avait un piano qui brûlait et ensuite… ». Le traumatisme a accouché de ses images. On dit aux enfants : il faut dire les mauvais rêves pour qu’ils passent, mais ils sont souvent tellement durs à dire, si on pouvait plutôt les montrer ce serait comme « parvenir à faire chanter les bègues ».23 

Je ne saurai pas dire comment ou pourquoi ces images nous parlent, comment elles résonnent en notre for intérieur avec un tel impact, et à la fois se lient à des phénomènes d’actualité plus généraux, créant une polémique transnationale. 

Pas de texte, des images, en mouvement, des figurants, des « pièces » (oeuvres) juxtaposées. 

Rythme lent

Fait parler la matière, le feu, les corps, la mousse, comme on écoute le chant de la nature et le mouvement de l’eau, ce qu’ils nous racontent.

Déjà dans Hey girl, vu au maillon en 2007, la mise en scène essaye de dire quelque chose dans le désordre, court sans avancer, comme en rêve. Questions d’identification des personnages à eux mêmes, qui porte le masque tête, quelle tête est à qui, et pour quelle transition symbolique ?

Castelucci, par son utilisation de matières et de la lumière, se réfère à la peinture, pour autant est-il important ici de qualifier le statut de ce qui est présenté ?

Les saynètes juxtaposées constituent des tableaux, quelques éléments tout au plus, se répondent sur fond monochromatique.

Un tableau en chasse un autre et c’est dans ce mouvement qu’hésite la théâtralité oscillant entre la peinture et le « ça n’a plus d’importance » : quel est cet objet ?

Pour dire Spectacle vivant il faut, il suffit, d’une vie au moins, une présence sur la scène? 

Une des choses qui m’ont particulièrement marquées dans ce spectacle est le rapport aux figurants. «Figurant» pour moi renvoie à : second rôle, images de foules, décoratif, amateur, silencieux, silhouette ou posture costumée. Ici ils sont le personnage, chacun sans identité, des individus comme il en existe des milliers, pris dans la tornade. Reflet d’un sentiment confusion dans la masse humaine, d’être un tout parfois sans relief, un fluide tempéré, opaque, sans consistance, à peine organique, de fantômes. 24 

Ni Halloween, ni Dracula, le statut flou des images qui empruntent de mille façons au réel, jouent sur la véracité de se qui se joue, mettent en doute la possibilité de distanciation, comme une transe de l’esprit ou transe collective et rend cet enfer plus menaçant. 

Images choc impact direct

Clichés, icônes, ex-votos

Chercheur en images

Pourquoi un tel impact : Comme surprit par un tableau sur l’enfer qui prend vie, on voudrait qu’il reste dans son cadre.

De Profundis : «Des profondeurs, je criais vers toi, seigneur. » Évangile selon St Mathieu, psaume 130 (129).25 

Sur le concept du visage du fils de Dieu

Sul concetto di volto nel figlio di dio

Théâtre de la ville, décembre 2011

Depuis deux semaines, je suis la polémique autour du spectacle de Castelucci. Sa mise en scène autour et à partir de ce visage peint par Antonello da Messine attise les foudres d’une petite bande associée de catholiques dits intégristes, ils auraient même déversé de l’huile de vidange, depuis le toit, sur le public entrant au théâtre de la ville.

J’écoute ce qu’en dit lui même le metteur en scène. Il s’explique brillamment et calmement, dément les accusations de blasphème et de provocation, rappelant sa foi profonde et son amour du Christ. Il accuse à son tour ces religieux de ne pas honorer cette notion du «doute», comme fondatrice de la croyance chrétienne. Admiratrice du travail de Castelucci, et ma curiosité attisée par ces débats, je me rends sur les lieux. Coincée dans les bouchons, j’arrive essoufflée avec dix minutes de retard pensant devoir renoncer en imaginant portes closes. Au lieu de cela, une foule amassée et confuse, qui sont-ils? Garés autour, une vingtaine de cars de CRS, et ceux-là même distribués en cordons tout autour de la place et au delà! Nous mettrons 20 minutes à accéder à la façade du théâtre après deux barrages avec listes de noms. Après l’entrée un portique magnétique comme à l’aéroport, fouille de sac et fouille corporelle. Désordre, absurdité, rires et tensions.

Une fois en salle de nombreux RG et policiers en civil, talkie-walkie à la main, sillonnent les gradins de haut en bas. Un bref discours du directeur appelant au calme et à la non violence. Donne quelques instructions et rappelle les règles d’évacuation. Durant la pièce une trentaine de vigiles répartis à cours et à jardin, resteront postés dos à la scène. Nom d’un spectacle! Regards furtifs entre voisins, une personne tousse, chacun en alerte s’apprête au scandale, au dangereux mouvement de foule. Le spectacle commence bien plus tard.26 

Un appartement sommaire luxueux entièrement meublé de blanc au milieu duquel trône le fameux portrait géant. Dieu, (selon mon interprétation il s’agirait de Joseph et Jésus en personne mais cela n’est pas mentionné) vieux, sénile et incontinent se chie dessus, ânonnant son embarras et sa culpabilité, sa souffrance. Quelques sanglots diffus sans aucune parole claire, l’italien n’est pas surtitré. Jésus le lave, déroulant un fatras et protocole de bassines, de serviettes, de couches, de gants en plastique, de changes etc. le rassure affectueusement faisant preuve d’une patience infinie et de compassion avec son père. La scène se répète trois fois; chaque fois que l’opération s’achève, le vieil homme recommence. Mais à force de répétition, Jésus comme les spectateurs, oscillent entre rire, lassitude et agacement. La scène se termine sur Dieu en sanglots, se versant sur le corps et le visage un plein bidon de merde. La question posée est-elle liée au «sacrifice» ou à la «miséricorde» ? Cela nous renvoi à notre rapport à nos parents et nos grands-parents, à leur nudité, leur décroissance, quel sera notre engagement vis à vis de leur prise en charge, quel sera notre propre rapport au fait de devenir sénile, incontinent, assisté etc. 

Il s’agit en fait d’une scène tout à fait banale et anodine que l’on retrouve dans tout service de gériatrie. C’est en effet anodin, mais ce n’est pas non plus – véritablement - du théâtre documentaire et cette scène n’est pas – exactement - une oeillère sur un fragment extrait de la réalité, mais un tableau aux multiples références et à l’esthétique du catholicisme qui déplace de contexte une réalité en effet crue et pouvant être bouleversante pour qui n’osait pas y penser.

La pièce continue avec des coulures qui apparaissent sur le portrait de Jésus. Puis, des formes, qui sont en fait des corps convulsés, déformant la toile par derrière, allant jusqu’à la percer et la déchirer en sortant. Apparaissent les mots : «You are/ (not) my shepherd», puis un éclair blanc. Le spectacle a duré 45 minutes. Les manifestants étaient plus d’un millier et chantaient des chants religieux, la plupart n’ont pas vu le spectacle.27 

La façon dont travaille Castelucci avec ces «icônes», montre la force narrative des images qui peuvent suffire à choquer, voire à traumatiser certains spectateurs ... 

Polémique et politique à l’époque de l’image

Les films de science-fiction ou d’horreur sur Jésus ou le Vatican ne choquent-ils pas autant ; comment se vit le rapport au vivant de la scène à la salle? 

Où commence le blasphème ?

Au coeur du sujet sans distanciation, comme une scène documentaire extraite du réel, et à la fois complètement métaphorisée, hyperbolée, symbolisée par le lien à la bible au divin, et par la théâtralisation de l’espace (pas d’effets de réels, pas de murs, ni de lampes, ni de papiers peints etc.), pas de réalisme.

3 niveaux :

- Dieu et Jésus relation père et fils fictive car réaliste

- misère humaine, faiblesse, humiliation, sacrifice, labeur, documentaire

- découpage esthétique, richesse de « l’ameublement », canapés blanc, portrait géant, et sobriété et intensité de la scénographie qui sacralisent et éloignent du populaire.

Lorsque l’on dit de Roméo Castelucci qu’il fabrique de la provocation c’est qu’il touche des points sensibles et appuie où ça fait mal.28 

Mémoire du mémoire 

J’ai fait du théâtre pendant des années, jusqu’à me rendre compte que le jeu n’était pas mon endroit. Ni le verbe, ni le langage, ni l’écrit, ni l’oral ne m’étaient familiers, devenant un vacarme de mots et de notions que je suspectais n’être accessibles qu’à une élite légitimée (comme il faut une habilitation spéciale pour l’utilisation de certaines machines-outils dangereuses). Le jeu d’acteur et le travail sur soi m’amenaient dans des retranchements trop strictement personnels et physiques, me donnant la sensation de devoir devenir malléable comme une enveloppe ou une marionnette. J’ai découvert, par la suite, la diversité des corps de métiers reliés au théâtre. Toutes les pratiques que j’aimais s’y trouvaient confondues : conception et réalisation d’espaces, d’images, de costumes, d’objets. Toutes les formes y étaient rendues possibles, de la scène à la rue, de la fiction à l’action. Tous les vocabulaires et formes de langages, toutes les alternatives artistiques pouvaient trouver leur place dans le grand univers Théâtre. 

Par ailleurs, en apprenant l’histoire et en découvrant le monde et son actualité, ses atrocités et injustices souterraines, sourdes ou hurlantes, depuis Paris, ma ville natale, et quelques voyages, je me suis promis de chercher un moyen d’action, un endroit de pouvoir qui permette de déjouer le sort de notre système, son creux et ses insoutenables destinations. Le discours au sens large était pour moi une infinité de déclinaisons de bonnes intentions. Étant arrivée au constat que la «bonne intention», partagée par la quasi totalité des individus de la planète, était inutile, je cherchais, les balayant du regard, les évènements dont l’impact était puissant en terme de mouvement perceptible des consciences, en terme d’effectivité, de concrétude. La «représentation» sous tous ses aspects, enjeu social autant qu’artistique, devint vite pour moi l’unique point d’impact et de communication possible et envisageable.29 

En grandissant j’ai aussi appris l’intérêt, voire la nécessité du collectif. Mon identité, quel que soit le message, ne constituera jamais l’entière viabilité d’un discours ; mon opinion devrait résonner et dialoguer avec ceux qui m’entourent, avec d’autres identités en travail. Ne pouvant de ce fait défendre une posture individuelle d’artiste, la cohésion du groupe, de la troupe qui existe au théâtre, était pour moi nécessaire. J’ai toujours raisonné en terme de «bien-vivre» autant qu’en terme de métier. La société à laquelle j’appartiens, formulée tant par mon imaginaire que par des phénomènes extérieurs contre lesquels je ne peux finalement pas grand chose, mes refus, les obstacles à la liberté qui sont aussi prétextes et matière pour la création, tout ceci m’amène à penser que les notions de métier, de famille ou d’habitat, ainsi que les formes d’échanges et d’économie, à différentes échelles, peuvent s’inventer au sein de microsociétés, de lieux de convivialité. Les principes de l’association une fois posés (quelque soit le nombre d’individus qui la constitue) existeront. Ils coexisteront avec leur environnement et, bon gré mal gré, acquerront reconnaissance et labellisation : (existence aux yeux d’un public°). Puisqu’on ne se construit pas seul, je voulais inscrire cette donne au processus de création, comme fondatrice et garante d’une progression et d’un enrichissement de l’idée et des actes. Le partage qui s’effectue avec un public, commence et existe aussi dès la gestation de l’oeuvre. 

J’ai eu (certainement comme tout le monde) le sentiment révoltant de ne pas être libre et de ne pas être considérée comme un individu, ne pas posséder mes choix, que quelqu’un décide pour moi de la réalisation de mes désirs je l’ai vécu comme une effroyable injustice. J’avais malgré ma situation très confortable, le sentiment d’être une projection, un objet, de n’être que le désir de mes parents, parachutée au coeur d’un système incontournable, une entité fantôme, constituée de peurs, et d’instincts de survie, je ne voyait pas l’intérêt de toute cette mascarade et de longues années d’obéissance. C’est de ce sentiment d’oppression qu’est né ma créativité et mes formes d’expressions par l’image. Je vivais et travaillais la nuit. L’oppression est encore aujourd’hui pour moi le moteur et la valeur des actions comme un monde parallèle qui doit coexister.

°« circuit anonyme d’homologation de tout et de rien ».

J’espère que la pièce traduit cette conviction que le théâtre est par nature une oeuvre collective. Simon Stephens à propos de sa pièce: Pornographie30 

Comme à chacun sa forme d’autisme la mienne est de retenir des suites de codes et de numéros improbables, synésthète (mémorisation des chiffres et des lettres par des couleurs associées, constituant des images et des sortes de paysages), en revanche je suis confrontée à l’impossibilité d’imprimer ou de mémoriser l’histoire, les faits et l’actualité, s’en suit une grande difficulté à légitimer et à défendre un discours politique. Conscience enfouie et mémoire par l’expérience, connaissances empiriques. (voyages ou discussions etc.)

La politique dans tout ça, une valise bien trop grande, bien trop vide, et avide d’elle même, un mot, une notion qui se remplie d’elle même, tautologique. 

Camille Bres, Baignade.31 

École ou contexte

Le contexte d’école a été pour moi l’occasion de nombreuses rencontres artistiques, devenues des sources d’influences. Une des plus marquantes est l’atelier des peintres et leur façon d’aborder et de construire des images. Je crois voir chez eux une place prioritaire faites aux envies et aux intuitions d’où quelles viennent, s’en suivent des compositions qui ont tout d’un guidage sensitif, en proie à la matière (médium), où il n’est pas en premier lieu question de discours, propos, ni concept. Figurations dissociées qui perturbent la lecture narrative. Qui questionnent et inventent des rencontres improbables entre des espaces et des corps

(libres perspectives, libre échelle, libre interprétation, libre).

J’ai emprunté ces démarches et processus de travail et considère ces peintres comme potentiellement mes metteurs en scènes, ou dramaturges.

Nous avons également continuellement échangé formes, projets, images avec les amis et collègues performeurs, installateurs, illustrateurs, graphistes et plus largement « artistes » et avons, par le fait, construit un vocabulaire commun. Les échanges de symboles iconiques ou emblématiques se prêtent à différentes versions, du graphique au vivant en passant par la projection et la sculpture. 

J’ai toujours vu cette école comme un ensemble à la fois ouvert et consanguin, fécond, un collectif à grande échelle. Et ce malgré son caractère individualisant, du fait de devoir en premier lieu se concentrer sur une démarche personnelle par décret de ce cadre scolaire et de son système dévaluation.

Le statut de la section scénographie est étrange, détachée d’une équipe théâtrale, de ce qui constitue la force d’une machine théâtre, l’exercice reste souvent le projet individuel, parfois sans aucune commande ou seulement avec une thématique.32 

A quoi correspond pour un scénographe ou un élève scénographe de défendre un geste et un projet « en solitaire » ? Et que pouvons nous faire sans moyens et sans base? Que voulons nous faire ? La question prend une tournure plus générale qui englobe le sens de notre venue en école d’art, pour quelle communication ?

Deux types de communications sont possibles dans notre atelier: les projets ou les jets. L’un par la maquette, la parole et la documentation, l’autre par tous les moyens.

Les réponses apportées à ces contraintes sont souvent d’ordre plastique, ou de l’ordre de dispositifs d’interaction avec le public. Souvent ce n’est pas de scénographie stricto sensu dont il s’agit, mais d’un corpus de questionnements sur différentes notions d’espaces qui font écho à toutes sortes de choses (espace mental, urbain, public, frontières, espace-temps, colonialisme, cosmonautes, cheval) et seulement à la fin, au théâtre lui même. 

Désorienté mais fondamental.

En conséquence, vu les moyens du bord, il se produit fréquemment une mise en jeu et en abyme de notre propos scénographique : comme une position dans l’espace, une mise en scène de l’espace dans l’espace. Comment arrive-t-on à telle décision, ce que veut-on dire et pourquoi fait-on ça ? Mesure de l’enjeu d’un contexte. Quelle est la place du spectateur, et quel est son statut dans la fable ou le message représenté ? 

Qu’il s’agisse ou non du spectacle vivant nous considérons toujours le vivant et créons bien souvent des dispositifs ou protocoles pour des expériences et des expérimentations.

Ce sont aussi ces réflexions qui sont à l’origine de mon travail. 33 

L’idée du projet, inspiré de la Trilogie du revoir :

action du mémoire 

Ce qui m’a d’abord intéressée dans cette pièce de Botho Strauss, dont le lieu est celui d’un vernissage d’art contemporain, ce sont les mécanismes de déplacement dans l’espace des protagonistes. 

Dans un premier temps, les didascalies m’ont permis de tracer une cartographie du parcours imaginaire du spectateur à travers l’exposition qui est dite et «représentée». Je dis «imaginaire» car, en découpant chaque scène comme un story board et en mettant chaque tableau bout à bout, on obtient un circuit qui sera répété trois fois selon le principe de la trilogie (du revoir). Les acteurs jouent des spectateurs de l’exposition, et la pièce a été écrite et dessinée par le metteur en scène comme un rapport frontal scène/salle, les indications scéniques étant constituées d’une pièce centrale, dont deux portes sur cour et sur jardin laissant deviner : exposition, foule, lumière et activité en hors-champs. Le jeu n’est pas censé tenir compte du public : sans adresse à la salle, il s’agit d’un huis-clos. On ressent dans l’écriture l’idée d’un quatrième mur.

J’ai ensuite focalisé sur «les» rapports au corps et leur comparaison aux oeuvres.

Les jeux des regards et des adresses des personnages oscillent entre le regard porté sur eux-mêmes, une vision cadrée des oeuvres exposées, les quelques objets disséminés et l’architecture de cet espace complètement clos. Tout se détache(rait) sur le fond blanc, ou neutre et stérile de la galerie type, appuyant ainsi le regard du spectateur visiteur sur chaque détail. L’ensemble est alors noyé d’une étrangeté et d’allers-retours de sens qui troublent le discernement de ce qui fait sens, de ce qu’est le propos, de ce qu’il y a à voir et à entendre, donc à comprendre, interpellant ainsi le vide qui découpe chaque «image». 

Une autre cartographie, en calque par dessus la première, est donc la chorégraphie des regards et des corps. Cette nouvelle cartographie est tout aussi zigzagante que le labyrinthe de la première (celle des mouvements dans l’espace).34 

Les signes, objets et symboles qui peuvent être rattachés à l’espace, les chaises, bouteilles, appareil photo, cadres etc. apparaissent autant comme appartenant à l’architecture du lieu que comme une continuité des corps des personnages, comme des prothèses. Ces «accessoires» sont donc le relais, balle au centre, des échanges mis en abyme entre images d’hommes et hommes-images. Ils déplacent la hiérarchie d’une certaine prédominance de l’humain sur ces objets, oeuvres ou signes (cf. paragraphe sur accessoiriste). Le vide et les silences sont fédérateurs, ils annihilent les fonctions de chacun : pas d’objet mort, pas d’être vivant (cf. texte sur pourquoi metteurs en scène/scénographes et plasticiens).

Dans ces relations, les oeuvres agissent comme des miroirs, reflets des formes, des matières et des questionnements d’un groupe d’individus qui à la fois tentent de (se) communiquer, de se raconter, tout en faisant part de leurs visions troubles, de leur incapacité à se voir de l’intérieur comme de l’extérieur. Ceci constitue la source de leurs angoisses et la vitre contre laquelle chacun se cogne tour à tour. 

Dans le texte, la façon dont il est question des visages, des corps, des apparences, nous incite à lire ces corps comme des objets ou des sculptures, les habits comme des costumes, les faciès comme des masques. Les peintures dites réalistes peuvent alors sembler plus réelles que les personnages incarnés. Face aux tourments et à l’ivresse de ces personnages (qui boivent tout au long de l’après-midi), face à leur perte de repères en tous genres, le contraste perd de son importance. La densité des choses est fluctuante, comme une incessante mise en abyme. Les répétitions, dédoublements, et déclinaisons des corps et des objets sont comme la tautologie d’une figure fractale. Ils fonctionnent sur un principe d’autosimilarité.

Figure fractale: désigne des objets dont la structure est invariante par changement d’échelle : gigognes.35 

Andy Freeberg, gardiens et sentinelles, www.laboiteverte.fr

L’exposition rassemble de nombreux artistes dont Jan Peter Tripp, Hopper, Lucian Freud, Hockney, Pistoletto etc. sur le thème du «réalisme photographique», ou «réalisme capitaliste». 

Dans la pièce, il est souvent question d’attente, de regarder celui qui regarde. Sont mis en scène les codes qui régissent le parcours mental et le cheminement du visiteur de l’exposition. Les arrêts et les pauses constituent des images, les encadrements des portes, si souvent mentionnés, deviennent les cadres de tableaux. Les tableaux sont eux mêmes des fenêtres et le gardien sur sa chaise une pancarte en carton (comme de faux gendarmes sur le bord de la route). Sa main est une prothèse qui fera office de support pour une photographie Polaroïd. La boîte scénique est elle même le cadre d’une grande fresque. 36 

Mon projet est d’emmener le spectateur au coeur de cette exposition d’oeuvres et d’humains mis en scènes. De faire vivre cette expérience de ce que je nommerais le trouble fantomatique de ces porte-masques anonymes. De troubler l’acuité du discernement, d’amener à confondre, par des jeux sur le corps et l’espace, ce qui dans une exposition est mort et vivant, réel et faux, mis en scène et happening. En travaillant des tableaux humains, des corps exposés, en juxtaposant des objets et des corps, avec des jeux d’échelles et de mise en abîme, de faire circuler le regard (notamment de la miniature à la grandeur nature). 

Les scènes sont des interprétations «plastiques», constituées à partir de différents éléments du texte. Les prélèvements que j’ai effectués sont dans un premier temps les mots et notions qui reviennent sans cesse; puis la «cartographie» des mouvements qui apparaît dans les didascalies; ainsi que des bribes de discussions qui synthétisent mon interprétation des questions proposées par Botho Strauss. 

J’ai coupé dans le texte tous les récits qui relient entre eux les individus (histoires d’amour, relations amicales ou conflictuelles) pour ne garder que les portraits physiques et leurs reflets dans les miroirs que constituent les oeuvres. 

Le parcours joue sur l’idée du train fantôme, l’espace est hanté d’une présence de mort ou d’une absence habitée. Les vitrines imaginaires ou invisibles cloisonnant les espaces entre tous et tout, malgré leur transparence, sont une coupure d’accès à l’affect, à la façon d’être touché par les éléments extérieurs. Les corps sont des images. Le spectateur devient un fantôme lui même observant des fantômes, traversé et traversant des regards et des formes sans que la rencontre ne crée d’impact tangible.37 

Langage et labyrinthe

Lorsqu’il s’agit de créer, d’imaginer ou de définir mes projets, j’ai du mal a me résoudre à utiliser le vocabulaire ou les codes d’un langage verbal commun Anglais, français, latin etc., dont l’organisation uniformisée pour une communication universelle est un leurre bourré de pièges, d’impasses. Le langage est toujours réapproprié, subjectivisé et dépendant du contexte (d’un contexte singulier, ineffable, intransportable). J’utilise alors mes images comme une traduction, un langage personnalisé. Les idées brutes qui proviennent de mon imagination sont déjà autant de références prédigérées et retissées qui ont chacune leurs sources dans notre « réalité commune » même si le public ne les a pas toutes déjà rencontrées ou reconnues (si la vierge n’est pas « la vierge » elle est une femme voilée, au triste visage et à l’air affecté). Ne pas faciliter cet accès permet d’ouvrir les portes et les questions que suscitent justement le fait d’être perdu. En marchant comme un automate sur une avenue clairement tracée et balisée, c’est lorsque que l’on rencontre une impasse, un obstacle (barrage), que notre cerveau s’enclenche, puis l’on refait le chemin en sens inverse, et c’est un autre chemin. Le même se transforme et se précise comme l’acuité est due au temps et au point de vue, à sa multiplication.

De là comment ce que l’on souhaite communiquer est rendu lisible ?

Si l’on multiplie indéfiniment les impasses d’un parcours, le jeu de celui qui le traverse, est irrémédiablement en sa possession, tout en lui étant adressé comme un piège, il en devient le détenteur et l’acteur. Lorsque l’on dit en art (abstrait) : « à chacun sa lecture de l’oeuvre » c’est à la fois une évidence et vrai pour chacune des situation de communication. La tentative d’orientation de la pensée et l’indice posé par le messager sont néanmoins le point de départ de ces digressions. L’admettre et en jouer offre selon moi la liberté à celui qui communique d’employer ses propres codes sans cadres-valises et sans autocensure, et permet d’envisager les différentes branches d’interprétations qui en découlent.38 

C’est aussi mettre en travail celui qui reçoit, ne pas le considérer comme un récipient passif ou prévisible.

Renvoyé à sa solitude, l’autonomie est alors pour le spectateur l’unique chance d’en sortir, si tel est son désir. Admettons que ça ne le soit pas, l’espace étant moulé à sa forme, il sera confronté à lui même.

Ce n’est pas tant que la scénographie et son décorum d’images en mouvement puisse être un langage en soi, avec un vocabulaire, des codes, une grammaire, une conjugaison, mais qu’elle soit le lieu d’expérimentations pour en chercher de nouveaux sans cesse et selon les nécessités. 

En peinture la libre composition des image, les forces des matières, deviennent longueurs d’onde de l’inconscient/ de l’indicible.

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Les mots sont vides : Le discours et « les beaux discours », mots vides et notions vagues, mots valise. Comment dire les choses, tous les mots sont emprunts de mille sens et connotations que l’on ne peut plus maîtriser, (démocratie, politique, terrorisme etc.) 

Est-ce un objectif politique de « Rendre imprononçable l’énoncé du conflit social (…) : Licenciement collectif=plan de sauvegarde de l’emploi, Récession=Croissance négative» France inter, glanage a la sauvette.

Anti- verbe : Umberto Ecco : La liste

La métaphore : analogie ou substitution

Trop de messages tuent le message

Dans la Trilogie du revoir, Botho Strauss tente de rendre compte de situations d’incommunicabilité, de difficultés de communication. 

«Chez Botho Strauss, fuir le labyrinthe opaque de notre existence semble donc impossible, même en biaisant par le choix d’un autre langage, celui du regard, comme le suggère d’ailleurs aussi la citation de Bataille mise en exergue de la pièce.» (Cf: annexe 5) P106

« … conversations qui tournent à vide : la bourgeoisie n’a de cesse de parler d’elle même confondant paroles et actes, dévoilant ainsi au spectateur son impuissance. Parler pour ne rien dire, parler au lieu d’agir.» p. 89 Philippe Wellnitz à propos des estivants de M .Gorki, mis en relation avec la Trilogie du revoir.39 

«Le dialogue s’appauvrit jusqu’à devenir un non-dialogue : Botho Strauss laisse les dialogues aller dans le vide des conversations toutes faites - vide dont les personnages ont pourtant parfaitement consciences,» P.Wellnitz p.92

Quelqu’un m’a déjà posé aujourd’hui ce faux problème. Que dire ? Si, ça me plaît. Il y a beaucoup de tableaux que j’aime énormément. Ce qui me gêne, ce sont ces gros concepts : supperréalisme, photographique, sensible, capitaliste, Blow-up et post-pop… Trilogie du revoir p.46

Silence

Le silence sur une scène, comme un blanc dans une conversation, fait apparaître un interstice, un espace vierge pour installer la pensée. Il concentre sur l’image et le mouvement qui diront la situation. Les mots par leur rythme sont un rappel à la réalité du temps, à sa ponctuation. Le silence en revanche étire le temps, comme le vide étire (décuple) l’espace. Le silence active la solitude, comme si le rapport aux autres, tel un repère géographique, était dû en grande partie au bruit, au son à la voix. Le silence impose un rapport de société, un rapport au groupe qui renvoie, repli sur soi, qui oblige un maintien du corps, une immobilité qui « respecte » et permet ce silence.

Silence en bibliothèque…

Un silence peut être bavard.

Le théâtre et ses spectateurs s’attendent au texte, attendent des acteurs leurs voix et leurs messages énoncés, rapportés, joués, chantés.

Est-ce que le théâtre silence renvoi aux méthodes du documentaire, au voyeurisme de chaque solitude jouées en miroirs par les acteurs et les spectateurs ?

L’atmosphère du théâtre en suspens, en haleine lorsque le silence perdure.40 

Didascalies et didascale 

Monique Martinez Thomas écrit sur l’idée d’un didascale personnifié, « intra-scénique » choisissant son rapport à l’espace du texte. La didascalie est donc une voix à part entière, une voix mise en scène, qui dialogue avec les autres personnages. Elle est un rôle donné à la scénographie comme locutrice. 

«Dans le cadre de la théorie du didascale, l’aspect qui reste à explorer est celui du point de vue énonciatif du texte didascalique. Le texte de théâtre construit en effet, virtuellement, un système polysystémique, qui doit être appréhendé par un regard virtuel, depuis un « lieu d’où l’on voit ». (...)

Le concept de point de vue de l’énonciation didascalique ne me semble donc pas lié à l’histoire racontée, à la « fable ». Ce qui est déterminant dans le jeu textuel dramatique, c’est l’espace de la représentation que l’auteur de théâtre pose en amont de la création. (...) 

Le point de vue dépend donc du rapport que le didascale entretient avec cet espace.» Typologie fonctionnelle du didascale, M.M.Thomas.

En l’occurrence, dans la Trilogie du revoir, le didascale donne les plans des scènes, les positions dans l’espace des objets et des corps qui deviennent des scènes à part entières, muettes et figées. Il est à la fois le marionnettiste, le scénographe, et le peintre des tableaux qu’il arrête et qu’il met en regard avec l’idée de l’exxposition qu’il construit. Ces didascalies permettent l’écriture de scènes silencieuses. Il rédige ces scènes comme des arrêts sur image, temps morts, entrecoupés par ce qu’il nomme «diaphragme»: noir. Il peut aussi être lu comme une voix off qui décrit tous les gestes et les mouvements comme pour apporter du visuel à une pièce radiophonique. Ces didascalies qui s’étendent parfois sur des pages entières amènent le lecteur à considérer la banquette, les sièges etc. comme des îlots qui deviennent de petites scènes, plateaux de jeu, supports et cadres pour de nouveaux tableaux.41 

«Dans la Trilogie du revoir, il s’agit en fait d’une mise en abyme du théâtre en tant que théâtre: Dès le début de la pièce, les didascalies indiquent que les acteurs entrent sur scène «comme» les visiteurs d’une exposition. (...) Mais ce qui est intéresant, c’est le mot «comme». Les acteurs restent des acteurs ou encore: l’exposition n’est que «comme» une exposition. Mais ce «comme peut aussi induire une contiguïté entre les acteurs en train d’échanger des dialogues dépourvus de sens et le déplacement du sens dans d’autres modes.» Philippe Wellnitz, Botho Strauss en dialogue avec le théâtre, Le «comme» des didascalies d’ouverture, p.94.

«Un exergue est difficile à mettre en scène. Les «dramatis personae» n’ont pas cette phrase à leur disposition. Mais l’exergue se situe avant les indications scéniques qui projettent les espaces, les temps, les ambiances et l’atmosphère de l’action dramatique. Ici, c’est l’auteur qui parle en citant, sans qu’il y ait encore le théâtre et peut-être de la manière la plus théâtrale qui soit, il met en scène. La pièce qui démarre après cet exergue ne serait pas à prendre comme allant de soi, ne saurait se rattacher à l’habituelle expérience de la vie (au sens d’une mimésis d’une activité contemporaine concernant l’art). Pour accéder à la pièce il y aurait plutôt un seuil à franchir. Il délimite la pièce par rapport à l’auteur et au public, mais désigne aussi la possibilité d’y pénétrer. L’exergue formule un horizon au regard duquel la pièce se veut d’être perçue.» P. Wellnitz, note de bas de page, p.102.

Armand Gatti dans Didascalie se promenant seule dans un théâtre vide évoque l’idée d’une « Traversée des langages » comme plusieurs registre venant s’assembler au sein de ce même espace scène, aire de jeu.

«... ma démarche est toute simple: elle vient de l’impossibilité de vivre en poésie avec le langage dont je dispose. Pourquoi? Parce que la poésie entrant dans un langage déterministe se nie en tant que poésie.» A.Gatti

«Dessiner non plus des rencontres de personnages déterminés chacun par un destin, une histoire avec ou sans majuscules mais partir d’une hypothèse (de travail: ce ne sont pas les énoncés qui sont porteurs de sens, mais ce qui les lie dans un mouvement commun).» A. Gatti Une tentative -de -dire- avant-le-specatcle, note 242 

La didascalie est donc ici, l’écriture de la scène qui relie à la fois les langages et les corps de métiers comme les régisseurs, metteurs en scènes, scriptes etc. Elle est un point de vue arboressant de l’espace mental et visuel qui constituent la fable et la pensée. Elle métaphorise cette question de comment vient-on habiter la scène comme une aire dédiée au langage.

«...la didascalie dans l’attente d’un spectacle à venir, trace la voie de ce théâtre nouveau, sans personnage sans psychologie. Une didascalie pour cerner ce qui, au carrefour de tous les possibles, tentera d’advenir, inédit, sur l’aire de jeu: la construction par les mots, d’une cathédrale.» Blandine Masson, Fictions/ Théâtre et Cie, 06-07, France culture.

Parallélisme entre recherche scientifique (Bozon de Higgs) et valeur symbolique des personnages dont didascale.

Groupe temps espace otages du langage dramatique 

Particules fondamentales n’existent pas dans le temps et l’espace ce sont l’espace et le temps qui existent en fonction d’elles.

Groupes : remplacent le personnage, dans le signe et le mouvement. 

Groupe des maîtres du langage aux frontières incertaines : metteur en scène, éclairagiste, décorateur, scripte etc.

Alors que les didascalies jouent le rôle du décor, comment ne pas mentionner S. Beckett qui pousse ce rôle comme une voix écrite, comme texte joué, jusqu’à refuser qu’on s’empare de sa pièce si on en « change le texte », comme si on en modifiait les dialogues en contournant ou en proposant une autre didascalie ou scénographie.43 44 45 

Mon Projet et la question des fantômes

Je travaille sur l’idée de « personnages images », des corps enveloppes des silhouettes porteuses de costumes ou de masque. Ces postures immobiles, façonnées, et enveloppes vides, sont pour moi le reflet de rôles attribués par certaines entreprises à leurs employés. Ils mettent le doigt sur la schizophrénie, le tiraillement imposé à de nombreux employés condamnés à aliéner tout rapport humain véritable, à renier leurs convictions en tenant à bout de bras le masque qui leur permettra tout juste de garder leur emploi. L’uniforme désigne le moine.

Distribuer des rôles, des partitions et ainsi exclure le libre arbitre, l’identité comme l’opinion, affirmer que les sentiments ne doivent plus apparaître. Puis n’apparaissent plus. Puis de jour comme de nuit : les fantômes, confus de ne plus trouver pied dans leur réalité, dissociés, divisés.

Prêts à tout passent partout.

« Je sais mais que voulez-vous c’est comme ça, j’applique la loi, je dois faire mon métier. » 

(Aucune) révolte ni aucun soubresaut ni bouleversement ne doit arriver, pas d’agression possible, ce qui va jusqu’à annihiler la pensée par une confusion ou un désordre consenti collectivement, une dite « fatalité ». C’est un cercle vicieux, moins l’identité s’affirme et décide ou arrive à définir qui elle est plus la prise de position et d’opinion est ébranlée.

Ils reflètent aussi un sentiment contemporain sur le rapport au corps ou au visage dû à une volonté « ambiante », idéologique et économique d’uniformisation : un modèle humain lisse et neutre valant comme norme. 

Insufflé par une quantité d’images infinies dont les corps sont des standards aux références strictes et qui de plus sont retouchés.

Icônes sacrées, consacrées, clichés…

«Susanne seule. Le gardien sur sa chaise.

Susanne: Dites-moi: à quoi me reconnaissez-vous exactement? Comment se fait-il que moi, moi l’indiscernable, vous me retrouviez d’une fois à l’autre, sans vous tromper? Qu’est-ce qui vous dit: c’est bien elle… ma Susanne? 46 

Quand je regarde le miroir, je ne vois rien qu’on ne puisse trouvez dans mille autres visages. Je ne peux pas m’imaginer que vous me voyiez! Parmi tous vos amis, les amis de vos amis et les amis des amis de vos amis; entre nous deux toujours un fourmillement d’hommes et d’hommes vides d’hommes.» Trilogie du revoir. P18

Quant à la question du masque, je la relie également à – par exemple - cette frénésie de modifier ce corps à volonté par la chirurgie esthétique qui dessine tous ses patients sur un très petits nombres de modèles, le jeunisme, les grosses bouches, les petits nez. Je ne parle pas ici de nécessité médicale.

Récemment est apparu le port de masques tout à fait réalistes. L’idée des clones ou des robots aussi devient inquiétante, elle se développe à grande allure, ils auraient des qualités/propriétés irremplaçable d’un point de vue économique (Blade Runner). Les relookings, prothèses, perruques etc. autant d’extensions, d’ajouts ou de transformations habillent ou fabriquent des personnages dont on ne saura jamais la part fictive ou fantasmée. Inventer son propre rôle, réinventer son corps ...

On joue à nous-même ou contre nous-même.

Il y a aussi dans cette idée des personnages fantômes, quelque chose de ressenti dans une théâtralité urbaine, une bascule dans la théâtralité du quotidien… Port de costumes au quotidien, les capuches cagoules ou voiles qui masquent les identités pour de nombreuses raisons religieuses, politiques, agoraphobes etc. Pour s’extraire du regard, des hommes des passants des autorités ou des caméras, ne pas faire partie de la scène, ne pas être perçu comme une identité mais comme une entité, un passant, un usager, une ombre, un anonyme comme tous les autres.

La part d’anonymat n’est jamais totale, il reste que le costume de cet anonymat conserve l’appartenance à un genre ou à une identité collective.

C’est cette identité collective qui me permet de reposer ou de repenser la question d’une identité individuelle.

Note pour moi-même: Ne pas confondre masque et maquillage, identité choisie pour défendre une identité personnelle forte et mode et contrainte culturelle et/ou sociale et anti-identité ; complexité de l’équilibre entre le rapport de séduction ou rapport aux autres rapport à soi et rapport professionnel, ainsi que raisons politiques.47 

Géminoïde, Kyoto. A droite, le professeur Hiroshi Isshiguro, à gauche, son «jumeau» androïde, capable de cligner des yeux, de «respirer», de gigoter... et de parler! Un système de capture des mouvements de la bouche du chercheur permet au robot de prononcer les mots de son créateur. Hiroshi Ishiguro cherche à savoir si son double obtiendra ou non l’attention d’une salle de classe et à tester la viabilité de la «téléprésence».48 

«Un jeune homme d’origine asiatique a pris les traits d’un vieil homme occidental pour se rendre depuis Hong-Kong au Canada, où il a demandé l’asile. Il a été interpellé. Le jeune homme a utilisé un masque en silicone et quelques acessoires pour se grimer.»

http://www.lefigaro.fr/international/2010/11/05/01003-20101105ARTFIG00587-il-se-deguise-en-vieillard-pour-monter-dans-l-avion.php49 

«Masque noir pour voleur blanc

Le 16 avril 2010 à Springdale, Ohio. En quelques heures Conrad Zdzierak, 30 ans a braqué 4 banque et une épicerie.

Il portait sur le visage un masque à 689$ de qualitéé professionnelle, le premier masque en silicone d’africain américain.»

«he player» est vendu sur le site SPFXmasks dont le slogan est: «nos masques deviennent votre visage»

http://pourceuxquiaimentlenet.be/2010/11/07/derriere-mon-loup-je-fais-ce-qui-me-plait-me-plait/50 

Moi hôtesse TNS le sourire et l’uniforme.

Une structure publique se revendique culturelle et gauche intellectuelle dans la lignée de ses grands directeurs et des spectacles accueillis, mission publique élargie servant de structure de convivialité, d’échange, de rencontre, de partage, de réflexion et application. Un dernier lieu d’éthique, un objet d’une grande valeur devient un haut lieu de la culture où l’on différencie les publics — presse, générales et première — où l’on donne des buffets et soirées hors de prix, où le public privilégié est un public d’acheteurs, de critiques, ou de théâtre, ou la démarche d’ouverture et de démocratisation remplie les salles vides et où le bruit des collégiens gêne, où l’accueil doit être parfait, où la façade, le marbre, l’uniforme (tacite) et les sourires comptent au delà du reste. Tacite : en noir et c’est tout, mais finalement au fur et à mesure on interdit le style hippie à propos d’un pantalon sarouel, les trop courts, trop longs, trop colorés, puis tous les styles : « neutre c’est bien » mais neutre c’est quoi ? La hiérarchie interne ne pourrait pas être plus pyramidale qu’ici et en découlent les privilèges de ceux du haut et les sacrifices sur ceux du bas. Des écarts de notoriété, de traitement, de salaires, de tout… Une microsociété complètement divisée, tout vacant, bruits de couloir, rien ne va plus. L’hôtesse en noir (car c’est neutre !) doit sourire et arriver en condition le soir pour être une gentille fille serviable, pleine de bonne humeur, et dire à chacun, bonjour, bon spectacle se tenir droite, ne pas bailler : quel genre de taf ? Mensonge de soi, mensonge d’humeur, plus rien n’est vrai alors, jamais… 

Bruno Tackels dit resentir ma relation au théâtre comme une position « alter-TNS », comme on peut être alter-mondialiste. Suis-je réellement anti-institutions ? Pourtant je ne perds pas de vue que ces institutions sont Nos institutions. De même que l’on a tendance à oublier, plus généralement et au niveau national que «cette» politique est Notre politique. Comme la relation public-oeuvre est à responsabilité partagée.51 

Ceci me renvoi aux débats qui ont eu lieu dans notre atelier lors des séminaires et du montage de l’exposition qui aurait lieu à Kinshasa pour le cinquantenaire de l’indépendance du Congo RDC. Un conflit certainement générationnel s’est posé avant notre départ sur la question de la culpabilité coloniale : les professeurs évoquaient, pour leur part, la difficulté de cette position d’être blanc à Kinshasa et du fait de devoir en tenir compte dans nos propositions d’artistes. Ce sentiment étant lourd et complexe, voire paralysant. Je ressentais pour ma part un anti-patriotisme et un dégoût de notre système me plaçant comme en-dehors, me considérant comme internationale, « citoyenne du monde » et autres neutralités… Finalement une fois là-bas j’ai ressenti cette idée que nous profitions de nos privilèges sans soucis du monde extérieur et qu’il était indécent de vivre dans un tel décalage. Mon retour en France à été un choc, pour autant, on reprend le cours de nos vie sans savoir comment sortir de cette dualité.

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Question politique sur l’identité paradoxalement obligatoire et interdite. Montrer patte blanche.

Espace public réglementé, signes ostentatoires, laïcité, atteinte à la pudeur...

Poser la question, publiquement, du port d’un masque, de la question et de l’importance de l’accès au visage, à la peau, au regard, de notre rapport à l’uniforme : quelle part d’humanité partage-t-on, quel échange possible avec un « agent » dans l’exercice de ses fonctions ? Que contiennent ces fantômes ?

Vanité, le masque de la mort et ses multiples visages, échange visage contre masque= échappatoire.

Si l’anonymat et la mort ce n’est pas si loin…

Icônes : comme les nonnes-vierges bleues intemporelles et picturales, image= religieuses. Jodowrowski.

La question des fantômes : référence à «Ceci n’est pas un fantôme : essai sur les personnages de fantômes dans les théâtres antique et contemporain» Pierre Katuszewski. Annexe 3 52 

Le masque au delà de Ses longues histoires sociales et culturelles représente pour moi un objet symbolique de lien et de transition entre l’exposition et la théâtralité, qu’elle soit fictive ou réelle, individuelle (spontanée) ou orchestrée. Il est un passage entre l’objet et le vivant.

Il évoque aussi la symbolique du carnaval lors duquel un âne était «revêtu des vêtements épiscopaux et officiait à l’autel. Or, l’âne symbolise notamment «Satan», c’est-à-dire l’inverse de l’ordre assuré par l’Eglise. Au cours des fêtes du Carnaval, toutes les individualités disparaissent sous les masques et le maquillage, permettant ainsi la confusion qui symbolise le chaos.

Les fêtes de Carnaval accompagnent le passage de l’hiver au printemps, de la mort à la vie.

On peut ajouter que le Carnaval, contrairement à d’autres fêtes, est une fête urbaine. Les défilés se font dans les rues et sur les places publiques. Les participants font du bruit, de la musique, car Carnaval est une forme de contestation même si elle s’exprime dans la dérision. D’ailleurs, le fait qu’il se passe dans les villes est une indication, car la cité exprime le lieu de l’ordre: on peut donc opposer le microcosme social organisé qu’est la ville ou le village, au monde chaotique qui se situe hors des murs. Carnaval est ainsi l’expression du désordre, mais il se déroule dans le lieu de l’ordre, la ville. L’ordre et le désordre peuvent alors être perçus comme indissociables.» www.na-strasbourg.fr/oinaf/articles/la-symbolique-du-carnaval.html

La question des fantômes dans cette pièce de Botho Strauss renvoi à la question sur la valeur et le discernement du faux et du vrai, du présenté et du représenté, du réel ou fictif, mort ou vivant. Si les hommes ont moins d’interactions, mouvements ou impacts entre eux que peuvent en avoir les oeuvres au sein d’une exposition, ou si l’on égalise ces rapports, le «vivant» ne devient plus qu’une question de pont de vue, une notion relative. Botho Strauss fait de nombreuse fois référence au vide : les chaises vides, courant d’air dans la tête, hommes de dos, hommes vides d’hommes, vide derrière le dos, regards vides, etc. Il évoque aussi souvent les corps comme une matière insaisissable : 

Quand on fait rentrer la réalité dans le cadre on obtient pas la réalité mais la fiction. 

Bruno Tackels

Ce que produit la fiction comme réalité de l’imaginaire du spectateur. Rodrigo Garcia53 

En parlant d’une femme :

«Une forme, père, que tu ne peux saisir, qui cède, qui s’étale comme de l’eau, (…) Une forme qui ne peut pas te saisir, des bras, des mains qui ne serrent pas, ne s’accrochent pas, qui sont là simplement posés, qui effleurent, tombent, subissent.» p.36

Des personnages de fantômes sont aussi évoqués comme le fantôme de Banquo dans Macbeth, et ainsi associé à l’absence d’un personnage.

«Que représente le fantôme de Banquo ? La meilleure réponse est peut-être celle de Lady Macbeth, celle qui connaît sans doute le mieux l’individu Macbeth. Qu’est-ce que ce fantôme : « Votre invention ! le tableau peint de votre peur !» (...)

Le fantôme, « ombre horrible » et « irréelle moquerie». 

«Macbeth toujours, sous la forme d’une simple pensée, d’échec, de faute, de pé

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